Le réel est un abyme
à propos des peintures de Bert Mertens

Yannick Haenel
écrivain

À contempler ce qui se donne pour de l’art aujourd’hui alors que les postures ont remplacé celui-ci et que pullulent les « projets », les « dispositifs » et les « installations », l’urgence nous invite à nous tourner vers une peinture qui recueille dans ses plus infimes détails ce qu’il en est du visible, c’est-à-dire de la matière qui déborde.

Si Bert Mertens peint le réel, ce n’est pas seulement par un souci de reproduire jusqu’à la corde la trame scrupuleuse de ce qui se donne à voir, mais parce que son œil et sa main y décèlent un reste, un abîme, un excès.

Il y a quelque chose d’irreprésentable dans le réel qui exige d’être changé en huile, en couleurs, en formes. Cette chose divague au cœur de l’être : aucun pixel, aucun zoom n’en rendront jamais compte.

Voilà ce qui existe, semble dire cette peinture. Notre monde urbain surpeuplé se révèle, sous le pinceau de Bert Mertens, un univers stupéfiant de couleurs dont les tons froids accrochent le désert qui croît autour de nous. Une accumulation figée, presque minérale, se prodigue, grâce au regard du peintre, comme un état du monde
contemporain.

Si le feu rouge orangé des verres de Bar Counter (2020) appelle la mémoire du Bar des Folies-Bergère d’Edouard Manet, les miroitements dupliqués des escarpins de luxe dans Reflection (2019) ou le profilage métallisé des jantes dans Scooters (2022)
embarque notre regard vers ce point d’opacité contemporaine où réel et virtuel se confondent.

 

Bert Mertens, YSL, Work in Progress, 2022, huile sur toile, 200 x 120 cm.

Bert Mertens, YSL, Work in Progress, 2022, huile sur toile, 200 x 120 cm.

Bert Mertens, Dumping Site, 2020, huile sur toile, 100/160 cm
Bert Mertens, Shattered Glass, 2020, huile sur toile, 80 x 140 cm

BERT MERTENS

Après un parcours professionnel dans le
milieu médical en Belgique, Bert Mertens a commencé à explorer la peinture à l’huile durant l’été 2018. L’hyperréalisme et les portraits sont les domaines dans lesquels il épanouit sa vision de l’art.

www.bertmertens.com

Des poubelles entassées dans la rue, un réseau de fils électriques, un bris de glace, des casiers à huîtres, un atelier rempli de câbles : les sujets de Bert Mertens possèdent une singularité qui en exhaussent la solitude. La poésie surgit là où le regard nous porte.

Et puis, il y a Bruno’s Garage 1 et 2 (2020), chef d’œuvre de scénographie minutieuse où le visible tout entier se concentre dans l’intérieur faramineux d’un garage. Les coffres de voiture, les capots, les moteurs, les bidons, toute la fresque rouge et bleue de l’outillage composent l’ampleur d’un monde observé et restitué jusqu’au vertige.

Il y a dans le regard de Bert Mertens une empathie avec la précision qui me fait penser que le nom véritable de celle-ci est l’amour. Être précis, c’est aimer.

Yannick Haenel
écrivain

Bert Mertens, Steel & Concrete, 2021, huile sur toile, 80 x 60 cm.
Bert Mertens, Bruno’s Garage 1, 2020, huile sur toile, 120 x 150 cm
Bert Mertens et Gregori Michel