Dégrisements
– L’Exposition

La Galerie Talmart, en partenariat avec le Centre Wallonie-Bruxelles/Paris, accueille l’exposition monographique de Younes Baba-Ali Dégrisements du 11 juin au 9 juillet 2022.

L’artiste franco-marocain, vivant à Bruxelles depuis 2011, propose d’explorer combien les objets et notre vie quotidienne sont investis de spiritualité, de superstition et même de superficialité.

DEGRISEMENTS, Younes Baba-Ali

KIT MAINS LIBRES

2014-2021

Kit mains libres est une série de portraits photographiques représentants des femmes voilées. Au milieu d’un décor intemporel et solennel, un détail se distingue : un téléphone portable glissé entre leur oreille et leur voile. Alors que le foulard est traditionnellement perçu comme une séparation entre la spiritualité et la matérialité, l’intimité et la société, Kit mains libres montre comment les communautés diasporiques ont mêlé leur religion à la fonctionnalité et à la mode.
Dans des limbes culturels constants, conciliant leurs styles de vie et leurs coutumes dans un nouveau contexte social, l’œuvre illustre la manière dont certaines populations manœuvrent entre les pôles de l’”ici” et du “là-bas”, de la religion et de l’actualité.

DON’T ANGER RA

2021

Rejetant son utilisation docile d’origine, un parapluie commence à s’ouvrir et à se fermer au hasard. Libéré de son usage banal, sa frénésie lui confère une existence étrange, presque humaine.

Ne se soumettant plus à son maître humain, il se révolte en faisant de sa superstition une réalité : il s’ouvre à l’intérieur. En effet, les parapluies ouverts à l’intérieur sont, au même titre que les miroirs brisés et les chats noirs, de prétendus signes de malchance. Ne pouvant plus contrôler ou prédire leurs comportements, le public devient le témoin actif de sa propre inertie face aux objets quotidiens qui se révoltent et se désistent.

Le titre de cette œuvre fait référence à l’une des nombreuses raisons possibles de cette superstition. Alors que les prêtres et les membres de la royauté de l’Égypte antique utilisaient des parapluies en plumes de paon et en papyrus pour se protéger du soleil, la superstition liée à l’ouverture d’un parapluie à l’intérieur pourrait provenir de la croyance selon laquelle l’ouvrir – loin des rayons du soleil – mettrait en colère le dieu du soleil, Râ, et entraînerait des conséquences négatives.

Younes Baba-Ali, Don't Anger Ra

PANNE DE FOI

2021

Dans cette performance, Younes Baba-Ali collabore avec l’artiste congolais Androa Mindré Kolo. Cette action, qui traverse Lyon – ville imprégnée d’histoires ésotériques et religieuses -, consiste à crucifier Kolo à un outil étrange mais très reconnaissable : une voiture de dépannage.

Dégrisements, Younes Baba-Ali. Panne de foi

Fixés à la croix qui sert habituellement à tracter les voitures, Kolo et cette intervention jouent autant sur la recherche parfois absurde de sens et de spiritualité dans nos vies ordinaires que sur l’idée, rendue avec humour, d’une “panne de foi”. Crucifié à sa croix ready-made, l’artiste – parfois considéré comme un prophète par ses contemporains – peut-il incarner une crise des multiples croyances possibles : en l’art, en lui-même, en la société, en la religion ?

Panne de foi, Younes Baba-Ali

SEBBAT

2021

Dans Sebbat, une série de paires de chaussures banales est soigneusement placée sous vitrine. Ces chaussures anodines et parfois usées apparaissent chacune dans une constellation différente. Si certaines paires sont retournées, d’autres se chevauchent, se croisent ou se couchent latéralement. Elles semblent avoir été déposées négligemment alors qu’en réalité, selon les superstitions d’Afrique du Nord, chacune d’entre elles prédit le destin de son propriétaire.

Si certaines peuvent être lues comme des présages de chance et de prospérité, d’autres annoncent des voyages, des accidents ou même l’infortune. En les agençant dans un lexique sculptural de présages, Baba-Ali met à nu la manière dont des objets quotidiens ont été investis de croyances parfois irrationnelles.

OBJETS (DÉ)SACRALISÉS

2021

Objets (dé)sacralisés, une série de dessins, met en scène différents objets religieux dans des situations inhabituelles. Loin de leur statut vénéré d’outils sacrés, leur usage est détourné vers le domaine du quotidien. Du gratte-dos au cales pour meubles, leur nouvel usage les dépouille soudainement de leur aura pieuse.

Ne laissant à nu que leur matérialité, utilisés comme des outils dans des situations communes, l’artiste renvoie à la question suivante : qu’est-ce qui rend un objet sacré ? La sacralité peut-elle être inhérente à l’objet, ou se cache-t-elle simplement dans sa manipulation contextuelle ? Ce n’est pas un hasard si ces questions reflètent les mêmes que celles qui se cachent derrière la stratégie artistique du readymade, mais inversées et dans un contexte religieux.

En unifiant le sacré et le profane, Baba-Ali repense les exigences innées de l’art en nous demandant de rire ou de nous laisser déconcerter par l’objet, plutôt que de le respecter. Alors que Duchamp montrait que même une toilette ordinaire pouvait atteindre une valeur extraordinaire grâce à l’intervention de l’artiste, Baba-Ali inverse le mouvement par lequel les figures religieuses confèrent aux objets liturgiques un statut supérieur. Comme le readymade artistique, les dessins de Baba-Ali suggèrent que la valeur et le caractère sacré consistent en un ensemble de relations, et non en des choses.