Dessins en atelier
Yanieb FABRE
du 14 au 28 février 2024
— Daniel Saldaña París
Ecrivain mexicain
Écrire sur l’œuvre de Yanieb Fabre m’oblige à revoir mes propres origines, la toile de fond extatique d’où je viens, où tout est danse et carnaval, où la beauté n’est pas repos mais violence, rythme et dissolution.
Il y a, dans ces œuvres, quelque chose qui dépasse, une profusion, un geste qui déborde et qui, en même temps, se retourne vers l’intérieur : il sonde les sombres recoins de la psyché. En dedans, c’est l’effacement : les limites s’estompent, les frontières entre les règnes (végétal, animal, etc.) tombent comme un rideau de théâtre et laissent entrevoir un continuum originel, primitif. Mon sexe est une fleur luxuriante, qui ne m’appartient pas. Les oiseaux descendent boire l’eau de mes rêves. La lumière germe comme une insulte qui fonde son propre langage.
Les dessins de Yanieb Fabre réussissent un tour de force inouï : de ce fond bourbeux, humide et exubérant de la libre association, de cet infra-monde de vagins, de spores, de synesthésie, faire surgir un récit. Le format n’est jamais accidentel : entre le codex enluminé et le journal intime, Yanieb Fabre fonde une temporalité distincte, un espace mythique qui interpelle et fait monter la température, mais aussi un espace personnel : des pierres aux formes insolites récoltées dans le lit du fleuve de la mémoire (pas toujours collective). Les couleurs qui surgissent appartiennent à un jardin perdu, mais qui a existé, un jour, quelque part. C’est ainsi que j’aime imaginer, par exemple, le légendaire jardin préhispanique de Huaxtepec, dans l’Etat de Morelos, au Mexique (où Yanieb et moi avons grandi, farouches et en meute). Hernán Cortés décrit cet endroit comme un verger fantastique, rempli d’oiseaux, de bassins aquatiques et de cyprès centenaires. Yanieb recrée ce lieu – encore vierge des taches de l’histoire – comme une émanation de son propre corps : le jardin où se rejoignent les larmes, les orties, les verges et les êtres interstitiels (quadrupèdes qui sont des amants, bois de cerf qui deviennent fleurs). Comme dans tout mythologème, c’est la répétition qui prime, la spirale névrotique qui, sans jamais passer deux fois par le même point, suit toujours un trajet analogue, procédant par variation.
Je ne peux pas écrire sur cette pratique artistique sans m’écrire en même temps. Je suis, j’ai toujours été, un personnage de ce jardin fauviste, une note de bas de page de ce codex, un animal travesti. Quand je me perds en moi-même, quand j’oublie de quoi je suis fait, je cherche le regard de Yanieb, cette communauté secrète qu’elle instaure avec le tracé de son crayon. C’est là que je me reconnais – amoral, dépouillé de toutes mes prétentions – comme appartenant à quelque chose qui me précède et qui m’expulse de moi-même. Un monde de sécrétions et de secrets, de liens plus obscurs que le sang ; un langage qui passe par les viscères, et aussi, une dimension plus légère et insaisissable.
Je n’exagère pas si je dis que sans l’œuvre de Yanieb Fabre je n’aurais pas écrit un seul mot.
Daniel Saldaña París