Renaître – Exposition d’œuvres peintes de Yancouba Badji
Commissariat
Marie Deparis-Yafil
Exposition à la galerie
du 23 décembre au 2021 au 29 janvier 2022
À l’occasion de la sortie nationale du film Tilo Koto le 15 décembre 2021
Vernissage en présence de l’artiste et de la réalisatrice Sophie Bachelier
le 22 décembre 2021 à partir de 17h
Yancouba Badji présentera ses œuvres à la galerie Talmart dès le 22 décembre 2021, sous le titre RENAÎTRE.
Artiste sénégalais, né en 1979 en Casamance, il a passé une partie importante de sa vie en Gambie, ce qui fait de lui un homme de plusieurs cultures et plusieurs langues, outre l’anglais et le français. Sa pratique de la peinture a commencé très jeune lorsqu’il assistait un artiste-peintre de sa ville, à la création de personnages dotés d’une âme contre laquelle les croyances locales le mettaient en garde. Après avoir suspendu sa pratique durant quelques années, c’est au cours de son aventure migratoire qu’il a, en Libye, repris la peinture comme moyen d’expression d’un témoignage autobiographique.
Corps de femmes sur fond jaune, campo Sabratha, Libye
2018, 27 x 41 cm, huile sur toile contrecollée
réalisée à Goudomp (Casamance, Sénégal)
Les tentatives de traversée de la mer Méditerranée l’ont propulsé dans un purgatoire de questionnements que ses œuvres restituent aujourd’hui. C’est ainsi que nous entendons le verbe « Renaître » qui donne le titre de son exposition : de quelle manière ses corps qui se déploient dans les fonds marins sont-ils destinés à « renaître » comme d’une matrice bleue ou comme dans les ciels que représentent les fresques de chapelles ?
Observer les toiles réalisées par l’artiste, depuis son départ de Libye jusqu’à sa production actuelle en France, suscite l’étonnement. Si au départ, sa peinture dénonçait les conditions de rétention des migrants sous l’observation brutale des polices des pays traversés, il propose aujourd’hui un traitement du sujet où les épreuves de l’homme errant entre désert et mer renvoie à la condition humaine universelle.
Désert
2021, 97 x 146 cm, huile sur toile
réalisée à Paris (France)
Yancouba Badji peint des individus, nus, dont la peau perd peu à peu la trace de leur origine géographique, portés par les flots, comme des êtres dessinés sur la surface courbe des voutes, qui leur donne une morphologie distordue. Ses toiles récentes rappellent les représentations de scènes mythologiques en Méditerranée ou en d’autres mers, qui ont nourri l’imaginaire de la culture européenne : Job rejeté par la baleine, Ulysse errant…
Le voyageur, dans son sursis, est confronté à la question de la dignité devant la mort, la folie, l’invisible comme devant le réel. S’il ne s’agit de lui seul, emmené avec d’autres voyageurs, la mort, la folie, la crainte, les hallucinations, s’invitent dans l’embarcation sans prévenir. Il y a comme un espace vers l’enfer ou le paradis qui s’ouvre sous les yeux du migrant : que va-t-il vivre ? Dans quelle direction sera-t-il mené ?
Marche forcée dans le Sahara
2018, 38 x 61 cm, huile sur bois
réalisée sur l’île de N’Gor (Sénégal)
C’est ce cheminement esthétique qui nous interroge dans l’œuvre peinte de Yancouba Badji : il part de la dénonciation d’un contexte précis, par la représentation de scènes identifiables où sont mis à l’épreuve des individus définis par leur pigmentation, leur morphologie, leur situation, pour arriver à une nouvelle énonciation où la deixis, en somme les conditions de cette expression, est moins importante que la destinée des individus, historique et métaphysique.
Marc Monsallier
Galerie Talmart
Lapa lapa, campo Bakhar, Libye
2017, 75 x 75 cm, huile sur toile
réalisée à Zarzis (Tunisie)
Like a bird in the sky
2020, 100 x 65 cm, huile sur toile
réalisée à Paris (France)
in catalogue PIASA, nov. 2019
Si le tableau Like a bird in the sky, semble s’inspirer du déploiement céleste d’une fresque de Corrège (1489-1534) la réalité qu’il dépeint est quant à elle beaucoup plus macabre. En effet, les corps nus ne volent pas dans les airs mais flottent à la surface de la Méditerranée. Le contraste entre la douceur de l’exécution et l’horreur des sujets représentés confère au travail de Yancouba Badji toute sa puissance expressive.
In catalogue PIASA
Corps flottants sur fond marine
2017, 60 x 100, huile sur toile
réalisée à Goudomp (Casamance, Sénégal)
« La peinture était pour moi une manière de faire comprendre ce que je n’avais plus la force de dire avec des mots. J’avais pour obsession de laisser des traces de ce que mes camarades et moi avions vécu de terrible durant ce parcours. À ce moment-là, seule la peinture le pouvait.»
In L’Observatoire des Politiques culturelles
N°58, décembre 2020, propos recueillis par Danielle Bellini
Au-delà d’une qualité d’exécution indéniable, maîtrisée, directe et poignante, la peinture de Yancouba Badji est un des premiers témoignages artistiques et vécus de l’enfer des migrants de la Méditerranée, un témoignage précieux, rare, urgent, vital et fiévreux. Mais si l’œuvre de Yancouba Badji est une œuvre de résilience, elle donne aussi et surtout à voir la peinture prometteuse d’un artiste émergent, brillant et singulier.
Marie Deparis-Yafil, commissaire d’exposition, Piasa, 2019
La peinture de Yancouba Badji est très étonnante. Ces gens liés presque organiquement, comme un seul corps, pour essayer de traverser ensemble la nuit de la mer et celle du désespoir… C’est l’arche de Noé qui s’est fracassée en plein déluge… Seule l’humanité qui tient ces gens ensemble peut servir encore de radeau… C’est très beau et il faut la force de croire à la densité de cet emmêlement… En se tenant les uns les autres certain.es ont réussi à traverser l’enfer. Certains arrivent même à le raconter… C’est exceptionnel.
Christophe Laurens
« Dire, “non, ça ne va pas”, je peux le dire avec ma peinture.
Mes armes sont mes pinceaux et mes couleurs. Ça me sauve la vie, ça me lave le cerveau, c’est pour ça que je m’engage tous les jours, que je consacre du temps à ma peinture. C’est grâce à elle que je vis, que je partage. Quel bonheur quand je vois que je touche ceux qui regardent mes œuvres ! Cela me sauve. »
In L’Observatoire des Politiques culturelles
N°58, décembre 2020, propos recueillis par Danielle Bellini